INSOMNIO CON PAULA REGO | STÉPHANE CHAUMET

 

il y a toujours une bonne raison de ne pas pouvoir dormir Goya, la guerre les atrocités quotidiennes la bêtise qui cerne la folie qui rôde les cauchemars à l’affût Goya, la soif de comprendre Goya, comprendre l’obscur de l’homme ce vieux goût du sang qui lui remonte dans la bouche la soif du mal cette gorge toujours sèche cet acharnement énigmatique à détruire Goya, l’obscur il faut bien que quelqu’un aille y voir Goya, là où bute la pensée là où le langage bute Goya, voir le basculement de cette limite Goya, cette zone de flou d’effacement ce diffus pénombreux ce seuil de l’opaque Goya, à la frontière de l’incernable de l’inexprimable d’un inconnu néfaste là où il n’y a pas de mot Goya, pas de silence non plus aucune musique ne pénètre Goya, aucune musique ne sert de main tendue là où ça bourdonne du sourd de la raison Goya, le monde est sourd Goya, le monde est un cauchemar du sourd on patauge dans le cauchemar Goya, le cauchemar on n’en sort pas Goya, on y est jusqu’au genou Goya, jusqu’au-dedans du crâne Goya, cette foule déferlante du fin fond de la peur et du pire ce n’est pas vers la lumière qu’elle va ce n’est pas la lumière qu’elle cherche ni la prière quelle prière Goya, sans mot et sans silence foule bourdonnante zombies des illusions estropiés de l’esprit bouches de superstitions crasses qui alimentent le cauchemar Goya, sortis de la nuit ils y retournent pour être dévorés par le néant de la pensée les hommes les femmes ça n’existent plus Goya, ce n’est plus que des ombres le retour à la boue de l’âme du magma d’obscur bientôt mais leur passage avertit Goya, avertit la poignée de vivants d’obstinés à vivre debout à ne pas céder Goya, ta main qui voit nous avertit ta main qui pense nous avertit Goya, dans l’obscur tu descends dans l’obscur tu glisses dans l’obscur l’esprit s’écorche dans l’obscur ça bourdonne Goya, mais dans l’obscur tu ne t’écroules pas Goya, presque mais non Goya, tu nous dis de ne pas nous écrouler de ne pas céder quand tu as vu le trou Goya, le trou qui aspire tu peux te laisser tomber te laisser aspirer par toutes les illusions t’y noyer ou regarder ailleurs Goya, regarder ailleurs parce que tu as vu Goya, tu as vu dans le trou et seulement quand on a vu dans le trou on peut regarder ailleurs Goya, les yeux gardant cette lucidité d’eau noire cette douleur alors tu peux regarder et t’accrocher à la tête d’un chien au visage d’une femme aux yeux d’un enfant Goya, même si le monde s’acharnera à les salir des yeux neufs d’enfant où s’accrocher Goya, aux dents de lait de leur rire Goya,

                                                                                                           insomnie avec Goya

 
  
 
siempre hay una buena razón para no poder dormir Goya, la guerra las atrocidades cotidianas la estupidez que circunda la locura que ronda las pesadillas al acecho Goya, la sed de entender Goya, entender lo oscuro en el hombre ese viejo sabor a sangre que vuelve a subirle a la boca la sed del mal esa garganta siempre seca ese empeño enigmático por destruir Goya, lo oscuro es preciso mirarlo Goya, ahí donde se encalla el pensamiento ahí donde la lengua se encalla Goya, ver el vuelco de ese límite Goya, esa zona de lo borroso de lo borrado ese difuso penumbroso Goya, ese umbral de lo opaco en el límite de lo inabarcable de lo inexpresable de un ignoto nefasto ahí donde no hay palabras Goya, no hay silencio tampoco penetra ninguna música Goya, ninguna música sirve de mano tendida ahí donde zumba lo sordo de la razón Goya, el mundo es sordo Goya, el mundo es una pesadilla de lo sordo nos empantanamos en la pesadilla Goya, de la pesadilla no salimos Goya, ahí estamos hasta las rodillas Goya, hasta adentro del cráneo Goya, esa muchedumbre que surge del fondo más fondo del miedo y de lo peor no es hacia la luz que ella va no es la luz que ella busca ni la oración qué oración Goya, sin palabras y sin silencio zumbando zombis de las ilusiones esos lisiados del espíritu bocas de supersticiones sucias que alimentan la pesadilla Goya, salidos de la noche vuelven a la noche para ser devorados por la nada del pensamiento hombres mujeres eso ya no existe Goya, ya sólo son sombras el regreso al barro del alma pronto magma de lo oscuro pero su paso nos advierte Goya, el puñado de vivos de obstinados en vivir de pie en no ceder Goya, tu mano que ve nos advierte tu mano que piensa nos advierte Goya, en lo oscuro bajas en lo oscuro te deslizas en lo oscuro el espíritu se rasguña en lo oscuro eso zumba Goya, pero en lo oscuro no te derrumbas Goya, casi pero no Goya, nos habla de no derrumbarnos de no ceder cuando has visto el hueco Goya, el hueco que absorbe puedes dejarte caer dejarte absorber por todas las viejas ilusiones ahogarte ahí o mirar hacia otro lado Goya, mirar hacia otro lado porque tú viste Goya, viste el hueco y sólo cuando uno ha visto el hueco puede mirar hacia otro lado Goya, los ojos guardando esa lucidez de agua negra ese dolor entonces puedes mirar y agarrarte a la cabeza de un perro al rostro de una mujer a los ojos de un niño Goya, incluso si el mundo se empecinara en manchar ojos nuevos de niño a los que agarrarse Goya, a los dientes de leche de su risa Goya,
 
                                                                                                       insomnio con Goya

Ma mère à huit pattes enceinte me porte, son œuf de fillette, je lui tisse sa maison dans son ventre, elle protège son œuf de fillette, l’emmaillotte, le développe à la soie de son ventre. Ma mère à huit pattes est prête à mordre, capable de tuer si l’hostilité tente une approche sur son œuf, son œuf de fillette en péril. Il faudra bien qu’elle m’expulse, que je m’extirpe, sinon ma mère à huit pattes est capable de momifier son œuf, par amour. Une fois expulsée ma mère m’offre ses mamelles, ses grosses et chaudes mamelles, continue à me donner une forme, ça l’inquiète sa forme de fillette, elle la veut parfaite, aussi parfaite qu’une géométrie. Je la déçois, je suis sa souffrance et son amour, je m’accroche à ses mamelles, je déforme ses mamelles, elle en souffre et aime que je les aime, grosses et chaudes. Je manque d’os, je n’ai pas le bon équilibre, j’ai tendance à me mollifier sous les mamelles. Seulement il n’y a pas que ma mère à huit pattes, la fillette a un géniteur, et les fissures dans la maison c’est lui, les parasites rouges qui rongent les veines de la mère c’est lui, l’angoisse dans le ventre de fillette c’est lui, l’attente d’une caresse c’est lui, l’humiliation dans l’âme c’est lui. Alors fillette se rebiffe, fillette montre les dents, et tisse son piège où le père se prend. Il n’aime pas ça, le père. De colère la sentence tombe. Je suis pendue au phallus. Ce que le père ignore c’est que ma main est un couteau. Je n’hésite pas, je coupe, je coupe, et malgré tout je voudrais qu’il m’aime, et trouver la douceur.
 
                                                                                            insomnie avec Louise Bourgeois
 
 
 
 
Mi madre de ocho patas embarazada me lleva, su huevo de niñita, yo le tejo la casa en su vientre, ella protege su huevo de niñita, lo envuelve, lo desarrolla en la seda de su vientre. Mi madre de ocho patas está dispuesta a morder, es capaz de matar si la hostilidad intenta un acercamiento hacia su huevo, su huevo de niñita en peligro. Hará falta que ella me expulse, que yo me extirpe, si no mi madre de ocho patas es capaz de momificar su huevo, por amor. Una vez expulsada, mi madre me ofrece sus tetas, sus gordas y calientes tetas, sigue dándome una forma, le inquieta la forma de su niñita, ella la quiere perfecta, tan perfecta como una geometría. La decepciono, soy su dolor y su amor, me agarro a sus tetas, deformo sus tetas, eso le duele y ama que las ame, gordas y calientes. Me faltan huesos, no tengo buen equilibrio, tengo tendencia a ablandarme bajo sus tetas. Ahora no solo está mi madre de ocho patas, la niñita tiene un genitor, y las grietas en la casa son él, los parásitos rojos que roen las venas de la madre son él, la angustia en el vientre de la niñita es él, la espera de una caricia es él, la humillación en el alma es él. Entonces niñita se resiste, niñita enseña los dientes, y teje la trampa donde el padre cae. Eso no le gusta al padre. Por la ira cae la sentencia. Ahorcada en el falo. Lo que el padre ignora es que mi mano es un cuchillo. No vacilo, corto, corto, y a pesar de todo quisiera que me amara, y encontrar la dulzura.
 
 
                                                                                             insomnio con Louise Bourgeois

 
Il était une fois une petite fille aux dents jaunes presque de lapin, elle cache dans son sourire une lame de rasoir et tient à la main un bâton de pastel, kkrrr kkrrr, ça gratte, ça frotte, ça crisse, contre les mâles qui croient avoir entre les jambes un bâton de commandement pour subjuguer le féminin, le menacer s’il ne sert, ne se soumet, tu n’écoutes pas le bâton tape, tu n’obéis pas le bâton t’empale, mais un bâton de pastel c’est plus efficace qu’un bâton de commandement (ça ramollit vite) pour raconter une histoire, pour se venger d’ironie, pour se défendre. Il était une fois une petite fille aux dents qui rient dents qui mordent, qui raconte des histoires, quelle histoire ! Il était une fois sait qu’il n’y a que ça qui compte, raconter des histoires, quelle histoire ! c’est le remède aux douleurs, aux mensonges, aux agressions. Une petite fille fait pipi debout sur l’art conceptuel et il se tortille encore sous l’acide. Il était une fois une petite fille qui raconte ses histoires dégoûtantes au pastel, obscènes, pas l’obscène du socio-exhibitionnisme, de ce porno de l’esprit permanent qui agite les écrans au-dedans au dehors, mais des images d’une obscénité lumineuse, jusqu’au malaise, il était une fois raconte des créatures grotesques, tendres ou inquiétantes, ou les deux, belles ou moches, ou les deux, un carnaval qui peuple les nuits, grimaçant et railleur, tout un bestiaire de peluches et d’empaillés qui s’animent, de poupées – y en a même une qui a des seins, un vagin et un pénis –, d’animaux en costume, pélicans, lapins, hiboux, rats, d’insectes dansants, d’enfants à qui pousse une tête d’animal, de jésus pantin et j’en passe. Il était une fois raconte nos petites perversions familiales, nos chambres closes, là où on s’adonne à de petits jeux cruels ou macabres comme des rituels, là où on réinterprète des scènes à l’aune de ses fantasmes et traumas, où on rejoue des cauchemars qui effraient et qui excitent, elle raconte nos chambres écartées comme des cuisses, où on avorte en silence, elle sait tout des enfantements, des avortements, des viols, des excisions, tout de la violence de l’entrejambe, des discours établis, tout des mensonges, des complicités, des hypocrisies, des douleurs, tout de la pauvreté des femmes dans les faubourgs et les campagnes, des femmes de pêcheurs et des Marie d’Égypte, faiseuses d’anges à répétition, c’est pour ça qu’il était une fois dessine et dessine, ces femmes qui vont avorter, seules, qui avortent, seules, qui viennent d’avorter, seules, allongées en position fœtale ou jambes écartées, à genoux ou assises au-dessus d’un seau, d’une bassine couverte de sang, une multitude de dessins, qu’on voit ce que c’est, qu’on sente ce que c’est, comment ça déchire, parce que ça ne s’arrête pas, ça ne s’arrête pas là, ni à ça, ce n’est pas d’hier, c’est d’hier et d’aujourd’hui, c’est de toujours, ici ou ailleurs, parce que tenace est la misère, tenaces les obscurantismes. Il était une fois une petite fille, laquelle d’histoire tu veux ? Elle en a plein des contes en réserve, avec toute la cruauté, la frousse et l’humour nécessaires, pas des trucs dégoulinants à la Walt Disney ma cocotte, il faut bien qu’elle réinvente sinon à quoi bon ? Tout est ambigu dans ce que la petite fille il était une fois raconte, tout garde son mystère originel au cœur d’une étrange familiarité d’il était une fois. Prendre soin du malade ou le tenir à sa merci ? Ce corps étendu, endormi ou mort ? Là, victime consentante ? Là, bourreau soumis ? Le cerf sodomisera-t-il le petit poney innocent ?… Son lapin en robe rose et aux dents sanguinaires a grossi, il a castré sa carotte ! À la soupe ! Du sang souille ses poils blancs comme la petite culotte d’il était une fois. La sirène a échoué sur la plage, des pêcheurs lui ont coupé la queue, ils trouvaient pas le trou, voir ce qu’il y avait dedans, les vidures aux oiseaux et ils l’ont fait griller au barbecue. Blanche-neige ? Blanche-neige a un gros cul et des jambes musclées de campagnarde portugaise et elle vous emmerde. Sa marâtre lui a enlevé sa culotte pour la confier à un chasseur pédophile. Tout le monde sait que les nains sont queer, est-ce qu’ils réussiront à la sauver ? Fêteront-ils ensemble ses premières menstrues sur la neige ? Ou l’histoire de la femme-chienne ? Celle qui se tord et hurle à quatre pattes, celle qui se mord et se lèche les plaies, la chienne de douleur, la chienne en chaleur, la chienne domestique, la chienne qu’on cajole, la chienne qu’on maltraite, la chienne qu’on gave, la chienne avec qui on joue, avec qui le jeu tourne mal. Une chienne, ça sait se défendre, une chienne ça peut attaquer, une chienne ça peut aboyer, montrer les crocs, mordre. La chienne qui a la rage. La chienne obligée parfois de manger un de ses petits, pour survivre. Il était une fois est une petite fille qui est jeune et vieille, célibataire et mariée, tendre et sauvage, humaine et animale, et il était une fois on l’accuse de montrer son sexe en victime, le miroir négatif, quand elle ne fait que raconter une violence, qu’elle est là depuis la nuit des contes, pour faire peur et domestiquer les petites filles, les rendre obéissantes, modèle belle et docile, les endormir. Bon, on va pas y passer la nuit, l’éternité est longue, longue et effrayante, réveille-toi, la mort veut se glisser dans tes draps, n’aie pas peur, ouvre la lumière, le secret demeure intact, l’ambiguïté persiste, raconte-lui une histoire qui commence comme commencent toutes les histoires, il était une fois…
 
                                                                                                             insomnie avec Paula Rego
 
 *
 
 
Érase una vez una niña con dientes amarillos casi de conejo, esconde en su sonrisa una cuchilla y tiene en la mano una barra de pastel, kkrrr, kkrrr, eso rasca, frota, rechina, contra los machos que creen tener entre la piernas un bastón de mando para subyugar lo femenino, amenazarlo si no sirve, si no se somete, no escuchas y el bastón pega, no obedeces y el bastón te empala, pero un barra de pastel es más eficaz que un bastón de mando (eso se ablanda rápido) para contar una historia, para vengarse con ironía, para defenderse. Érase una vez una niña con dientes que ríen dientes que muerden, que cuenta historias, ¡qué historia! Érase una vez sabe que no hay otra cosa que valga la pena, contar historias, ¡qué historia! es el remedio a los dolores, las mentiras, las agresiones. Una niña hace pis de pie sobre el arte conceptual y todavía se retuerce bajo el ácido. Érase una vez una niña que cuenta historias asquerosas al pastel, obscenas, no el obsceno del socio-exhibicionismo, ese porno de la mente continuo que agita las pantallas adentro afuera, sino imágenes de una obscenidad luminosa, hasta el malestar, érase una vez cuenta criaturas grotescas, tiernas o inquietantes, o las dos, bellas o feas, o las dos, un carnaval que puebla las noches, con muecas y mofa, todo un bestiario de peluches y de disecados que se animan, de muñecas – una tiene hasta senos, vagina y pene –, de animales con traje, pelícanos, conejos, búhos, ratas, de insectos bailando, de niños a quienes les brota una cabeza de animal, de jesús títere y me quedo corto. Érase una vez cuenta nuestras pequeñas perversiones familiares, nuestros cuartos cerrados, donde uno se abandona a jueguecitos crueles o macabros como rituales, donde se reinterpretan escenas a la luz de nuestros fantasmas y traumas, donde volvemos a actuar pesadillas que atemorizan y excitan, ella cuenta nuestras habitaciones separadas como muslos, donde se aborta en silencio, ella sabe todo sobre los partos, sobre abortos, violaciones, escisiones, todo sobre la violencia de la entrepierna, de los discursos establecidos, todo sobre mentiras, complicidad, hipocresía, dolores, todo sobre la pobreza de las mujeres en suburbios y campos, de las mujeres de pescadores y de las Marías de Egipto, recurrentes hacedoras de ángeles, es por eso que érase una vez dibuja y dibuja, esas mujeres que abortarán, a solas, que abortan, a solas, que acaban de abortar, a solas, acostadas en posición fetal o abiertas de piernas, de rodillas o sentadas encima de un balde, de un barreño cubierto de sangre, una multitud de dibujos, que veamos lo que es, que sintamos lo que es, cómo eso desgarra, porque eso no se detiene, no se detiene aquí, ni a eso, no es de ayer, es de ayer y de hoy, es de siempre, aquí o en otra parte, porque tenaz es la miseria, tenaz el obscurantismo. Érase una vez una niña, ¿qué historia quieres? Ella tiene un montón en reserva, con toda la crueldad, el pavor y el humor necesarios, no cosas empalagosas tipo Walt Disney mi amorcito, ella tiene que reinventar si no para qué. Todo es ambiguo en lo que la niña érase una vez cuenta, todo guarda su misterio primigenio en el corazón de una extraña familiaridad de érase una vez. ¿Cuidar al enfermo o tenerlo a su merced? ¿Ese cuerpo tendido, dormido o muerto? ¿Allí, victima consentidora? ¿Allí, verdugo sumiso? ¿El ciervo sodomizará al pequeño poni inocente?… Su conejo de vestido rosado y dientes sangrientos engordó, ¡castró a su zanahoria! ¡A comer! La sangre ensucia sus pelos blancos como las braguitas de érase una vez. La sirena encalló en la playa, pescadores le cortaron la cola, no encontraban el hueco, para ver lo que había adentro, las entrañas a los pájaros y la cola al asado. ¿Blancanieves? Blancanieves tiene el culo gordo y piernas musculosas de campesina portuguesa y se caga en ustedes. Su madrastra le quitó las bragas para dejarlas en mano de un cazador pedófilo. Todo el mundo sabe que los enanos son queer, ¿lograrán salvarla? ¿Celebrarán juntos sus primeros menstruos sobre la nieve? ¿O la historia de la mujer-perra? La que se retuerce y aúlla a cuatro patas, la que se muerde y lame sus plagas, la perra de dolor, la perra en celo, la perra doméstica, la perra que miman, la perra que maltratan, la perra que ceban, la perra con quien juegan, con quien el juego acaba mal. Una perra se sabe defender, una perra puede atacar, una perra puede ladrar, mostrar los colmillos, morder. La perra que tiene rabia. La perra obligada a veces a comer a uno de sus cacharros, para sobrevivir. Érase una vez una niña que es joven y vieja, soltera y casada, tierna y salvaje, humana y animal, y érase una vez la acusan de mostrar su sexo como víctima, el espejo negativo, cuando ella no hace sino contar una violencia, que está ahí desde la noche de los cuentos, para dar miedo y domesticar a las niñas, volverlas obedientes, modelo bella y dócil, adormecerlas. Bueno, se nos está haciendo tarde, la eternidad es larga, larga y aterradora, despiértate, la muerte quiere deslizarse dentro de tus sábanas, no tengas miedo, enciende la luz, el secreto sigue intacto, la ambigüedad persiste, cuéntale una historia que empieza como empiezan todas la historias, érase una vez…
 
                                                                                                      insomnio con Paula Rego

 
                                                                      der Tod ist ein Meister aus Deutschland…
                                                                                                                             Paul Celan
 
 
Débora Colombia devora a sus hijos
Colombia viola a sus hijos Débora
días tras días
 
la muerte es un maestro de Colombia Débora
leche negra de la guerra la chupamos
de día y de noche Débora
de sus tetas chupamos la muerte
 
aquí no se cavan tumbas en el aire Débora
aquí cavamos tumbas en el olvido
en el olvido uno se acuesta cómodo Débora
 
no hay deseo sin memoria lo sabes
la memoria se construye Débora
una mujer pinta la Colombia enferma
la Colombia que se equivocó de guerra
una mujer sin hogar pinta aislada en su casa
 
en las ventanas de tu casa hay serpientes espiando
en la puerta de tu casa hay chacales escupiendo
en el techo de tu casa hay buitres merodeando
tienen el poder pero tú la potencia Débora
 
el vientre del poder está hinchado
Débora de sangre y carne fresca
de huesos y ceniza
y viste sus manos blancas Débora sus uñas tan limpias
 
una mujer pinta en su casa y su pintura
es una comezón la comezón de Colombia
su pintura cruda le pica le pica el absceso
 
eso es la justicia Débora una mujer que hienas manosean
eso es la república Débora una mujer que buitres despedazan
eso es la tierra Débora una mujer que puercos descuartizan
eso es la moral Débora una mujer que la triple moral crucifica
eso es el amor Débora una mujer embarazada por la violencia
eso es la paz Débora una mujer a la que vampiros sacan a bailar
todo eso sobre la bandera Débora toda la mascarada bailando
 
la muerte es un maestro de Colombia Débora
leche negra de la coca la chupamos
de día y de noche Débora
de sus tetas chupamos la muerte
 
una mujer pinta y obvio Débora no te querían
fingen hoy que te quieren Débora
hasta pegaron tu cara en billetes de dos pesos
para que olvidemos tu pintura
para ellos vales dos pesos Débora
olvidaron que es el billete de la arepa
no te conocen Débora
 
Colombia quiere un papá Débora
Colombia está perdida sin su papá
Colombia la cagó y quiere un papá que le limpie el culo
quiere un papá protector un papá castigador
quiere que papa le dé un buen correazo de vez en cuando
sabe que se lo merece cuando es desobediente histérica desafiante
burlona cuando se salta las normas cuando reclama se obstina
y si hay necesidad que papá le dé por el culo también
y Colombia calladita Colombia fuerte
Colombia no llora Colombia marica no es
aprieta los dientes y dándole papá
pero marica no eso es educación
quiere un papá que asuma su responsabilidad
un papá mediático un papá patrón un papá cacique
un papá-manda-a-callar
un papá que tiene sus duques y barones
un papá que sepa jugar con sus pequeños soldados
un papá que acaricia a sus perras
papá se acuesta en la bandera Débora
papá fornica con la muerte
 
no quisiste chupársela a papá Débora y lo pagaste caro
no das un buen ejemplo Débora
no das una buena imagen
en tu mundo todo es falso dicen
por eso te castigan por eso te dan duro
no te vayas a quejar te lo mereces lo sabes
 
pinta
pinta
pinta la vida desnuda
la vida rascada
la locura cruda
la enfermedad de Colombia
 
pinta el deseo pinta la memoria Débora
no hay deseo sin memoria
sin memoria tampoco hay futuro
tampoco hay futuro sin deseo
 
mientras cavan tumbas en el olvido
en el olvido uno se acuesta cómodo Débora
 
 
                                                                                          insomnio con Débora Arango
 
 
*
 
 
                                                                     der Tod ist ein Meister aus Deutschland…
                                                                                                                          Paul Celan
 
 
Débora Colombie dévore ses enfants
Colombie viole ses enfants Débora
jour après jour
 
la mort est un maître de Colombie Débora
lait noir de la guerre nous le suçons
de jour et de nuit Débora
de ses mamelles nous suçons la mort
 
ici on ne creuse pas de tombes dans les airs Débora
ici nous creusons des tombes dans l’oubli
dans l’oubli on s’y couche à l’aise Débora
 
il n’y a pas de désir sans mémoire tu le sais
la mémoire se construit Débora
une femme peint la Colombie malade
Colombie qui s’est trompée de guerre
une femme pas au foyer peint isolée dans sa maison
 
aux fenêtres de ta maison il y a des serpents qui espionnent
aux portes de ta maison il y a des chacals qui crachent
au toit de ta maison il y a des vautours qui rôdent
ils ont le pouvoir mais tu as la puissance Débora
 
le ventre du pouvoir est gonflé
de sang et de chairs fraîches Débora
d’os et de cendre
et leurs mains blanches Débora tu as vu leurs ongles si propres
 
une femme peint dans sa maison et sa peinture
est une démangeaison la démangeaison de Colombie
sa peinture crue la gratte ça gratte l’abcès
 
c’est ça la justice Débora une femme pelotée par des hyènes
c’est ça la république Débora une femme dépecée par des vautours
c’est ça la terre Débora une femme démembrée par des porcs
c’est ça la morale Débora une femme crucifiée par la triple morale
c’est ça l’amour Débora une femme mise enceinte par la violence
c’est ça la paix Débora une femme que des vampires invitent à danser
tout ça sur le drapeau Débora toute la mascarade à la danse
 
la mort est un maître de Colombie Débora
lait noir de la coca nous le suçons
de jour et de nuit Débora
de ses mamelles nous suçons la mort
 
une femme peint et bien sûr Débora ils ne t’aimaient pas
ils font semblant de t’aimer Débora aujourd’hui
ils ont même eu l’idée de coller ton visage
sur les billets de deux pesos
pour qu’on oublie ta peinture
pour eux tu vaux deux pesos
ils oublient que c’est le billet de l’arepa
ils ne te connaissent pas Débora
 
Colombie veut un papa Débora
Colombie est perdue sans son papa
Colombie s’est foutue dans la merde et veut un papa qui lui nettoie le cul
elle veut un papa protecteur un papa punisseur
elle veut que papa lui donne une bonne raclée de temps en temps
elle le mérite elle le sait quand elle est désobéissante hystérique provocante
moqueuse quand elle sort des normes quand elle réclame s’obstine
et si c’est nécessaire que papa la lui mette dans le cul
et Colombie bien sage pas un mot Colombie forte
Colombie ne pleure pas Colombie c’est pas une tafiole
elle serre les dents et mets-là papa
mais c’est pas une tafiole c’est de l’éducation
elle veut un papa qui assume sa responsabilité
un papa médiatique un papa patron un papa cacique
un papa capable de faire taire
un papa qui a ses ducs et ses barons
un papa qui sait jouer avec ses petits soldats
un papa qui flatte ses chiennes
papa se couche dans le drapeau Débora
papa fornique avec la mort
 
tu n’as pas voulu sucer papa Débora et tu l’as payé cher
tu ne donnes pas le bon exemple Débora
tu ne donnes pas une bonne image
dans ton monde tout est faux disent-ils
c’est pour ça qu’ils te punissent pour ça qu’ils cognent si dur
ne va pas te plaindre tu le mérites et tu le sais
 
peins
peins
peins la vie nue
la vie grattée
la folie crue
la maladie de Colombie
 
peins le désir peins la mémoire Débora
il n’y a pas de désir sans mémoire
sans mémoire il n’y a pas de futur non plus
pas de futur non plus sans désir
 
tandis qu’ils creusent des tombes dans l’oubli
dans l’oubli on s’y couche à l’aise Débora
 
 
                                                                                              insomnie avec Débora Arango

Stéphane Chaumet (1971, Dunkerque, Francia) ha vivido en países de Europa, América latina, Medio Oriente, Asia y en Estados Unidos. Ha publicado las novelas: Aun para no vencer (Le Seuil 2011; Vaso roto 2013), Las Marionetas (Le Seuil 2015), los relatos El paraíso de los velos – crónicas de Siria (Le Seuil 2013; Pre-Textos 2015), La isla sin salida (Leg 2019); varios los libros de poesía, entre los cuales La travesía de la errancia (La Cabra 2010), Los cementerios engullidos (Al Manar 2013; Ladrones del tiempo 2017), Fisuras (Al Manar 2015), El azar y la pérdida (Al Manar 2019; Escarabajo 2017), Reposo en fuego (antología 1996-2016, Los Torreones, 2017), Insomnia (Dernier télégramme 2018) y Celdas (Dernier télégramme 2020); así como el libro de fotografías El Huésped, Siria antes de la guerra (Uniediciones 2017). Tradujo al francés a varios poetas latinoamericanos y españoles contemporáneos, a la poeta alemana Hilde Domin y a la persa Forough Farrokhzad. Versión en francés y español del autor.

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